Yves Klein, l'intégration de l'immatériel à la peinture
« mes tableaux ne sont que des cendres de mon art »
“D'abord il n'y a rien, ensuite il ya un rien profond, puis une profondeur bleue”
Yves Klein pendant les dix années de sa période picturale productive va tenter un immense défi : intégrer à la surface matérielle limitée du tableau, les horizons illimités de l'immatériel, afin de plonger le public dans un état de conscience spirituel plus proche de la contemplation méditative que de la simple vision psychologique entachée des cogitations sentimentales de l'histoire de la peinture.
Ce défi devait entre autres l'amener vers ses célèbres séries de monochromes bleus, puis vers des espaces d'exposition vide repeint en blanc, puis vers des performances, des sortes de « happening », où les mises en scène autour de la création picturale sont plus importantes que le contenu du tableau lui-même; comme ces sortes de rituels sur fond de musique sacrée , où des femmes nues enduites de couleur bleue et conduites par le peintre en gants blancs, viennent mettre l'empreinte de leur corps sur la toile du tableau.
Yves Klein propose ainsi un renouvellement complet de l'art pictural par une intégration de la vie sous toutes ses formes, en particulier immatérielles. Voici quelques extraits de sa conférence de 1959 à la Sorbonne, où il expose magistralement ces principes :
“Nous arrivons maintenant , en remontant prudemment et progressivement dans le temps, en avril 1958. Et c'est la présentation chez Iris Clert à Paris, de l'exposition de la sensibilité picturale. On a appelé cette manière mon époque “pneumatique”. Suivant les normes de l'éthique que je me suis construite depuis dix ans, éthique qui est à l'origine de cet immatérialisme qui nous fera retrouver un véritable amour de la matière en opposition au quantitativisme, au matérialisme momifiant qui nous rend esclaves de cette matière et la transforme en un tyran.
Je désir, avec cette tentative, créer, établir et présenter au public, un état sensible pictural dans les limites d'une salle d'exposition de peinture ordinaire. En d'autres termes, créer une ambiance, un climat pictural invisible mais présent, dans l'esprit de ce que Delacroix appelle dans son journal “l'indéfinissable”, qu'il considère comme l'essence même de la peinture.
Cet état pictural, invisible dans l'espace de la galerie, doit être en tous points ce que l'on a donné de mieux jusqu'à présent comme définition à la peinture en général, c'est à dire, un rayonnement. Invisible et intangible, cette immatérialisation du tableau doit agir, si l'opération de création réussit, sur les véhicules ou corps sensibles des visiteurs de l'exposition avec beaucoup plus d'efficacité que les tableaux visibles, ordinaires et représentatifs habituels, qu'ils soient figuratifs ou non figuratifs ou même monochromes (...)
Il ne devrait à présent n'y avoir plus d'intermédiaires. On devrait se trouver littéralement imprégné par cette atmosphère picturale spécialisée et stabilisée au préalable par le peintre dans l'espace donné. Il doit s'agir alors d'une perception-assimilation directe et immédiate, sans plus aucun effet, ni truc, ni supercherie par delà les cinq sens, dans le domaine commun de l'homme et de l'espace : la sensibilité.
Comment réaliser cela ? Je m'enferme tout seul quarante huit heures avant le vernissage dans la galerie, pour la repeindre entièrement en blanc, cela, d'une part pour la nettoyer des imprégnations des expositions précédentes nombreuses, d'autre part, pour mon action de peindre les murs en blanc, la non couleur, en faire momentanément mon espace de travail et de création, en un mot : en faire mon atelier.”
Yves Klein “Vers l'immatériel” éditions Directa