Arthur Koestler est l'initiateur de l'esprit intégratif
Arthur Koestler est pour ainsi dire le fondateur de l'esprit intégratif, son initiateur.
C'est peut être sa vie particulièrement riche et variée, on pourrait dire intégrative, au sens où il a été obligé de subir ou d'intégrer tous les courants de pensée d'une époque particulièrement tumultueuse en particulier au niveau politique. Cela lui a permis sans doute de développer cet esprit intégratif au niveau pratique, puis ensuite d'en fonder les bases théoriques.
Né en 1905 en Hongrie, Arthur Koestler fait ses études à Vienne, puis son chemin le mène vers la Palestine de la reconquête sioniste, ensuite vers le Berlin de la montée du nazisme, puis vers la Russie stalinienne pendant la famine de 1932. Il se retrouve ensuite dans l'Espagne de la guerre civile, puis dans la France de la drôle de guerre. Enfin Arthur Koestler trouve sa place et se fixe à Londres après 1945.
Arthur Koestler est surtout connu comme romancier et essayiste pour ses descriptions de l'individu aux prises avec les totalitarismes du vingtième siècle. Mais dans la dernière partie de sa vie, Koestler écrit des oeuvres philosophiques, originales où il questionne en particulier la science face à la spiritualité.
Ce texte est extrait d'un de ces derniers livres "Janus", où il pose les bases d'une nouvelle vision de la réalité centrée autour de la notion de "holon", une vision "holarchique" qui sera ensuite reprise par Ken Wilber et qui constitue le fondement de la philosophie et de l'esprit intégratif.
"Les holons qui constituent tout organisme vivant ou une collectivité sont des entités à tête de Janus : la face tournée vers les échelons supérieurs de la holarchie est celle d'une partie subordonnée dans un système plus vaste ; la face tournés vers les échelons inférieurs témoigne d'une totalité quasi autonome, de plein droit.
Cela parait signifier que chaque holon est animé de deux tendances ou virtualités opposées : une tendance à l'intégration pour fonctionner en tant que partie d'une totalité, et une tendance à l'assertion pour préserver son autonomie individuelle. La manifestation la plus évidente de cette polarité fondamentale se trouve dans les holarchies sociales. Ici l'autonomie des holons constitutifs est jalousement protégée et affirmée à chaque niveau : des droits de l'individu à ceux du clan ou de la tribu, des collectivités locales aux départements ministériels, des minorités ethniques aux nations souveraines(...)
En même temps le holon doit fonctionner comme partie intégrante d'un système plus vaste qui le contient et dont il dépend ; sa tendance à l'intégration, ou autotranscendance, doit dominer sa tendance d'affirmation. Dans des conditions favorables, les deux tendances fondamentales – assertion et intégration – sont plus ou moins en rapport d'égalité, le holon vit dans une sorte d'équilibre dynamique au sein de l'ensemble, les deux faces de Janus se complétent. Dans des conditions défavorables, l'équilibre est rompu, ce qui entraîne de funestes conséquences. Nous arrivons ainsi à une polarité fondamentale entre la tendance assertive et la tendance intégrative des holons à tous les niveaux et comme nous le verrons dans tous les genres de systèmes hiérarchiques. Cette polarité est un trait fondamental de la théorie que j'expose ici, c'est l'un de ses leitmotiv(...)
Dans un organisme sain, comme dans une société saine, les deux tendances sont en équilibre à tous les échelons de la hiérarchie. Mais sous une tension trop forte, la tendance assertive de la partie affectée de l'organisme ou de la société risque de s'emballer : elle tendra à s'échapper aux rênes de la totalité. C'est ce qui peut provoquer des changements pathologiques, comme les tumeurs malignes, prolifération déchainée de tissus qui échappent aux freins génétiques(...)
L'homme n'est jamais une île, c'est un holon. Sa tendance assertive est la manifestation dynamique de son individualité. Sa tendance intégrative exprime sa dépendance à l'égard de l'ensemble auquel il appartient : sa "partiellité".
Quand tout va bien les deux tendances sont en équilibre plus ou moins stable. En période de tension ou de frustration, l'équilibre est rompu, ce qui se manifeste par des troubles affectifs. Les émotions qui naissent de tendances assertives frustrées sont du type adrénergique, agresso-défensif, bien connu : la faim, la colère, la peur, jusqu'aux éléments possessifs du sexe et de l'affection parentale. Les émotions provenant de la tendance intégrative ont été généralement négligées par la psychologie universitaire. Elles naissent dans le holon humain du besoin d'appartenir, de dépasser les frontières du moi, et de faire partie d'un ensemble enveloppant – une collectivité peut être, une foi, une cause politique, la nature, l'art, ou l'anima mundi.
Quand le besoin d'appartenance et de transcendance ne trouve pas d'issue adéquate, l'individu frustré risque de perdre tout esprit critique et de se livrer à une foi aveugle, à une dévotion fanatique envers une cause quelconque, sans chercher à la juger. C'est une des ironies de la condition humaine que sa férocité destructrice ne vienne pas des tendances à l'assertion, mais bien du potentiel d'intégration de l'espèce."
Arthur Koestler " Janus" p. 67 et suivantes
Arthur Koestler introduit ici l'idée d'une polarité conflictuelle "tendance assertive – tendance intégrative", polarité qui peut expliquer toutes les résistances actuelles à l'esprit intégratif, car nous sommes dans une période d'hyperindividuation tournée vers la tendance assertive de soi-même.
Arthur Koestler introduit aussi l'idée très importante que c'est la tendance intégrative qui fait surtout problème actuellement pour l'homme, au sens où l'évolution de l'être humain est figée, non seulement dans des tendances assertives individuelles d'ordre conflictuel comme la compétition, mais surtout dans des formes intégratives perverses, non abouties, comme les idéologies collectives et les groupes qui les incarnent (que ce soient les intégrismes religieux ou la mondialisation à seule finalité économique). En se fondant dans ces groupes et leurs idéologies, l'homme perd alors tout esprit critique, tout semblant de conscience, et n'arrive pas à réaliser sa tendance intégrative profonde et évolutive, qui lui permettrait de s'unir harmonieusement dans un Tout réconciliateur et harmonieux.