François Roustang explore le caractère intégratif de l'hypnose
D'une certaine manière, François Roustang parle de "psychothérapie intégrative", sans jamais utiliser ce terme.
Après avoir refusé les limites dans lesquelles la psychanalyse s'est enfermée dans sa prétention à être une science (il en fait une critique pertinente dans le petit livre «Le thérapeute et son patient »), François Roustang s'aventure dans l'hypnose - l'hypnose éricksonienne - pour en montrer la nature intégrative ou intégrale.
Pour cela, il invente un nouveau mot : la "perceptude".
Fançois Roustang s'en est allé le 23 novembre 2016, à l'âge de 93 ans.
C'était un des derniers représentants en France, d'une certaine psychothérapie, via l'hypnose, issue du courant des psychothérapies humanistes, dont Milton Erickson fut une figure de proue.
De ce courant venu des Etats -Unis dans les années 70, on retient la liberté d'esprit, la créativité au delà de tous les dogmes, et une vision de l'homme intégrative reconnaissant la multiplicité de ses facettes et de ses niveaux de conscience.
La psychothérapie intégrative est en deuil et ressent une grande tristesse à l'annonce de ce décès, d'autant plus que la situation actuelle de la psychothérapie en France n'est guère reluisante.
Fabrice Midal a écrit un beau texte sur François Roustang pour lui rendre hommage.
Pour ceux qui veulent en profiter pour le lire et le relire, je conseillerai la triade :
"La fin de la plainte" Odile Jacob 2000, "Il suffit d'un geste" Odile Jacob 2003 et "Savoir attendre pour que la vie change" Odile Jacob 2006
A noter dans le journal « Le Monde » daté du mercredi 30 novembre 2016, le bel éloge d’Elisabeth Roudinesco au sujet de François Roustang.
Je ne résiste pas à la tentation de citer la fin de son article qui montre l’importance considérable de ce dernier en psychothérapie :
« Ayant abandonné la cure freudienne pour se tourner vers l’hypnothérapie, il reste le trouble-fête de la psychanalyse en refusant, à juste titre, les cures interminables qui ne servent selon lui, qu’à enfermer le patient dans un repli narcissique (…)
il explique que la meilleure manière de transformer sa vie, c’est d’effectuer un « retour au présent », de s’asseoir dans un canapé pour y trouver un nouvel espace existentiel, de cesser de se lamenter sur son passé et, enfin, ne rien faire d’autre que d’accepter sa souffrance pour mieux l’évacuer par un cheminement intérieur et un éveil au monde. »
Critique de la psychanalyse et éloge d'une certaine hypnose
« Je pense qu'un des points fondamentaux est que Freud a voulu faire une science, et une science sur le psychisme. Cela était bel et bien son idée. Pour en faire un objet de science, il a donc isolé le psychisme du reste du corps et de la vie. A mon sens, c'est à ce moment-là que tout a basculé.
Les textes que Freud a écrits lorsqu'il pratiquait l'hypnose sont, du point de vue thérapeutique, d'une richesse tout à fait extraordinaire. On se rend compte qu'il aurait été tout à fait capable de développer cette richesse thérapeutique, mais avec pour conséquence de ne plus pouvoir faire une science, car il aurait été justement amené à tenir compte de chaque cas, et à entrer dans la complexité infinie des relations humaines.
En faisant une science et une science du psychisme, il a eu la possibilité de créer quelque chose qui soit à part, mais, à mon avis, avec des appauvrissements considérables ».
François Roustang « Le thérapeute et son patient » entretiens avec Pierre Babin Editions de l'aube
Perception et perceptude
La perceptude est le mode de perception intégrative propre à l'hypnose et que François Roustang revisite à sa manière, c'est à dire de manière magistrale.
Elle permet l'expérience du Tout, par opposition à la perception ordinaire qui sépare, divise, objectifie et fige la vie.
La perceptude fait penser à la pleine conscience, elle permet de voir intuitivement, instantanément, le champ de tous les possibles dans une situation donnée.
On pourrait dire aussi qu'elle est un EMC (état modifié de conscience) naturelle, originelle, dont le pouvoir thérapeutique est très puissant :
« Atmosphère, ambiance, climat, milieu, ces mots disent ou tentent de dire quelque chose qui influe sur notre existence toute entière.
Alors que le premier mode de perception se traduit par la discontinuité et la partialité, ce second mode de perception, que l'on peut nommer "perceptude", est marqué par la continuité et la prise en compte de tous nos liens avec le monde. La perceptude ne peut être circonscrite et mise à distance. Elle est l'aire où nous ne sommes plus des observateurs fixes faisant face à des objets ; elle est le territoire dont nous participons pour en devenir une part insécable.
Ce second mode de perception auquel le plus souvent nous ne prêtons pas attention est en fait premier. C'est sur la plage de la perceptude, à la fois finie et sans limite, que va se découper la perception discontinue et partielle. Nous considérons la perception comme évidente et première alors qu'elle est toujours une élaboration seconde(...)
Il est caractéristique de la perceptude que le percevant ne choisit pas, qu'il ne privilégie pas tel ou tel élément, qu'il ne met pas à part tel ou tel trait ; il est contraint de tout prendre, de tout recevoir, de tenir compte à la fois de tout ce qui lui arrive et de trouver peu à peu dans cet ensemble son rôle et sa fonction. Les différenciations ne seront établies que plus tard ».
La perceptude est un mode de perception premier que l'hypnose met en lumière.
« L'état d'hypnose tel que je le comprends, ne serait rien d'autre que la perceptude.
Elle est à la fois ce qui est toujours présent à nos vies et toujours supposé pour que nous puissions appréhender quelque chose du monde environnant.
C'est ce que disent à leur manière les praticiens de l'hypnose : il existe une hypnose quotidienne qu'il n'est nul besoin de nommer hypnose, car le moindre geste, celui de la marche, de la lecture ou de l'écriture, pour être accompli avec aisance, suppose l'absorption et l'oubli. Et d'autre part tout humain est hypnotisable, c'est à dire qu'il peut avoir accès au fondement, il peut se rendre d'où il vient. La perceptude est là en effet sous-jacente à toute perception, mais par ailleurs les hypnotiseurs prétendent la faire passer au premier plan et en proposent l'expérience. Donc la mettre à la lumière du jour, alors qu'elle agit dans la lumière de la nuit.
En d'autres termes, l'état hypnotique est partout et il s'agirait de le faire apparaître quelque part. Etrange procédure parce qu'elle aboutirait alors à l'apparition d'un fond sans la figure ou d'un contexte qui aurait perdu son texte".
François Roustang « Il suffit d'un geste » Editions Odile Jacob poches
Donc nul besoin pour le thérapeute de faire des diagnostics compliqués et de s'enferrer dans le symptôme et la plainte du patient-client, il suffit juste de la mettre en transe, afin de retrouver son état de conscience originel et le chemin de la santé, qui est déjà latent en lui-même.
"Interrogé sur le taux de réussite des thérapies utilisant l'hypnose, j'avais répondu que je l'ignorais parce que je ne recevais que des patients déjà guéris (...)
Le thérapeute n'aurait plus à faire de diagnostic, parce que d'une part le diagnostic enveloppe la patient dans une généralité qui n'est pas taillé pour lui seul, et que d'autre part elle colore la relation qui commence d'une teinte négative.
Milron Erikson n'a cessé de répéter que lorsque quelqu'un s'invite chez un praticien de l'hypnose, ce dernier n'avait pas à faire de diagnostic, mais devait seulement se préparer à faire l'apprentissage de la transe et ensuite à y présenter la difficulté à résoudre."
François Roustang "Il suffit d'un geste" Odile Jacob poche 2005