Pierre Tal Coat, l'intégration suprême
Pierre Tal Coat (1905 – 1985) représente pour moi, en peinture, l'intégration suprême.
En effet, peindre devient pour lui l'acte révélateur de l'Etre dans sa propension irrésistible à créer des formes faisant irruption du vide lumineux originel représenté par “l'humus” de la toile.
C'est pour cela que dans son immense atelier de Dormont en Normandie, Tal Coat peignait des centaines de tableaux à la fois, pour témoigner de la force de cet Etre le traversant et voulant créer des formes : failles et brisures, points et grains émergeant dans la pâte de la toile, beauté abrupte dans l'accident et l'incomplétude :
une peinture spirituelle intégrant physiquement et organiquement l'absolu, loin des spéculations abstraites et mentales d'un Kandinsky, pour moi, usurpateur de la spiritualité picturale.
La peinture de Pierre Tal Coat a pour résultat chez celui qui la regarde, ce Vide intérieur et ce silence fait d'émerveillement, d'étonnement et de bonheur profond, dont les vertus sont bien sûr éminemment thérapeutiques.
Dommage que ce peintre majeur soit un peu oublié, que les livres à son sujet soient si rares et que peu de lieux fassent le travail de mémoire nécessaire, sauf la galerie Berthet-Aittouarès,
et la galerie Mirabilia à Lagorce en Ardèche
Mais écoutons Tal Coat, car il parle bien, car il écrit bien, aussi :
« Il n'y a jamais un schéma préétabli, je ne sais pas ce que la toile va devenir. Je m'avance, je ne puis dire à tâtons parce que c'est plutôt dans le sens d'une affirmation, même si on peut affirmer tout en se trompant, mais j'agis rapidement et volontairement. »
L'immobilité battante entretiens de Jean-Pierre Léger avec Pierre Tal-Coat
« Oui, pour moi, l'essentiel dans la peinture, c'est le fond. Pas la préparation des fonds mais cet humus. C'est le soubassement..., la possible naissance de tout déjà. Ce n'est pas de l'inertie en dessous, ça commence. C'est un lieu inhabité encore des choses, qui n'est pas objectivé, mais qui a sa vie propre. »
idem
« Moi je parlerai plutôt du silence qui est le contraire du calme, qui vous prend, qui vous retire, des bruits intérieurs ou extérieurs, ce silence qui vous happe. Calme ou agitation, nous serions dans les drogues. Je parlerais plutôt de notre silence devant les grands tableaux, qui créent ce vide en nous, qui nous rendent disponible, finalement disponible à nous-même... »
idem
« le phénomène n'est pas unez chose donnée, il est révélé dans l'instant, il ne pas être codifié. Or l'imaginaire participe de la codification.Le printemps sera toujours le printemps, mais pas le même printemps. Dans le repli de l'imaginaire, je serais dans le retard. Je ne serai pas dans cet effort, pour moi, qui consiste à être dans le monde, avec le monde. »
“Il ne me sied d'être dans le repli de l'imaginaire” 1983
Ecoutons aussi sa poésie :
« L'espace et la lumière sont un
Ainsi tout flotte et dérive lentement
et la lumière et l'ombre
et toutes choses
en cette lumière et cette ombre
Tel une voile gonflée
le ciel traverse
et déborde tout
mais rien n'est écrasé
tout est suspendu
et les lointains sont proches
Homme pareil à son ombre
qui va au bout des champs
et comme porté sur l'eau et dans le ciel
échelle mouvante dressée sur l'arête de la courbure. »
Pierre Tal Coat Traverse d'un plateau 1963
Le poète André du Bouchet, son ami, dit de lui et de sa peinture :
“ attente à l'instant comblé, c'est le vide.
Pas grand chose, a-t-on plus d'une fois entendu dire, quant à la peinture, de même qu'à la sienne, et la plus accomplie, Tal Coat.
Mais chose.
Soit, rien – la prodigalité.”
André du Bouchet Sur une gravure de Laisses